Accompagner le sport-santé avec les outils d’aujourd’hui
- Stéphanie Smadja
- 15 mai
- 5 min de lecture
Vers une hybridation raisonnée entre compétences humaines et innovations technologiques
Contexte et mutations professionnelles
Depuis une décennie, les métiers de l’activité physique connaissent des transformations profondes. L’essor des technologies, la démocratisation des objets connectés, l’émergence de l’intelligence artificielle, mais aussi les évolutions de la demande sociale, redessinent les contours du rôle de l’éducateur sportif. En parallèle, le champ du sport-santé s’impose comme un secteur prioritaire dans les politiques de prévention. L’activité physique, considérée aujourd’hui comme un déterminant majeur de santé, devient un outil thérapeutique reconnu, notamment pour les publics atteints de pathologies chroniques, en situation de handicap ou en perte d’autonomie.
Dans ce contexte, le professionnel du sport est amené à repenser sa posture. Il ne s’agit plus uniquement de prescrire de l’exercice, mais d’accompagner des personnes dans des parcours de soin, de réhabilitation ou de maintien de l’autonomie. Ce repositionnement exige de nouvelles compétences : relationnelles, pédagogiques, cliniques, mais aussi numériques. Ce guide vise à éclairer les éducateurs, coachs, stagiaires en formation ou professionnels en reconversion sur les transformations en cours, en leur fournissant des repères concrets pour intégrer les outils numériques tout en renforçant leur valeur humaine.

Le sport-santé : un champ d’intervention en expansion
Le sport-santé désigne l’ensemble des pratiques d’activité physique visant à améliorer ou maintenir la santé, en dehors d’un objectif de performance. Il s’agit d’un champ d’intervention transversal, situé à l’intersection du sport, de la santé publique et du travail social. Depuis la loi de modernisation du système de santé de 2016, l’activité physique peut être prescrite médicalement dans le cadre du parcours de soin des patients atteints d’affections de longue durée (ALD). Cette reconnaissance institutionnelle a impulsé une dynamique forte autour de la professionnalisation des intervenants.
Les publics concernés sont nombreux : personnes âgées, patients chroniques (diabète, cancer, BPCO, obésité), personnes en situation de handicap moteur ou cognitif, femmes enceintes ou en post-partum, mais aussi actifs en prévention des troubles musculo-squelettiques. Les enjeux sont considérables. Selon l’OMS (2021), la sédentarité est responsable de près de 10 % des décès prématurés dans le monde. En France, plus de 20 millions de personnes vivent avec une maladie chronique. Le sport-santé apparaît alors comme une réponse efficace, économique et durable à des problématiques de santé publique majeures.

Le numérique dans l’accompagnement : promesses et réalités
L’introduction progressive des outils numériques dans les pratiques professionnelles du sport n’est pas un phénomène nouveau. Depuis les années 2010, les applications de suivi, les plateformes de coaching en ligne et les montres connectées ont permis aux pratiquants d’accéder à une multitude de données sur leur activité physique. Ce processus s’est encore accéléré avec la pandémie de COVID-19, qui a généralisé les pratiques à distance et renforcé la demande en outils numériques.
Aujourd’hui, les professionnels du sport peuvent s’appuyer sur une large palette d’outils : logiciels de planification d’entraînement (Hexfit, Exorlive...), plateformes de suivi médico-sportif, objets connectés (bracelets d’activité, cardiofréquencemètres), applications mobiles de motivation, outils de visio-coaching, et plus récemment, intelligences artificielles génératives de contenu. Ces outils permettent de structurer le suivi des pratiquants, de visualiser leur progression, de faciliter la communication entre intervenants, mais aussi d’enrichir l’expérience utilisateur.
Toutefois, leur intégration dans une démarche d’accompagnement professionnel nécessite un cadre. L’outil ne fait pas l’accompagnement. Il doit être au service d’un projet structuré, éthique et centré sur la personne. L’enjeu pour les professionnels est donc double : savoir choisir les outils pertinents, et les utiliser de manière critique et contextualisée.

L’intelligence artificielle : potentiel, fonctions, limites
Depuis 2023, l’intelligence artificielle générative connaît une expansion spectaculaire. Des outils comme ChatGPT (OpenAI), Claude (Anthropic) ou Copilot (Microsoft) permettent de générer des contenus textuels, visuels ou interactifs à partir de simples consignes en langage naturel. Dans le domaine du sport, ces IA sont capables de concevoir des séances d’entraînement personnalisées, de répondre à des questions techniques, de proposer des progressions hebdomadaires, voire d’analyser des données biométriques.
Ces capacités impressionnent. Dans un article publié en 2024 par Les Numériques, le journaliste Florent Lanne a testé la création d’un programme de remise en forme via ChatGPT. Résultat : un plan d’entraînement cohérent, progressif, sans excès de charge, et enrichi de conseils de récupération. Ce type d’usage “grand public” séduit par sa simplicité d’accès et son efficacité apparente.
Mais ces outils, aussi puissants soient-ils, ne remplacent pas une expertise humaine. L’IA ne possède ni conscience, ni intuition, ni responsabilité. Elle fonctionne par prédiction statistique, sans compréhension contextuelle réelle. Elle peut générer des erreurs, proposer des exercices inadaptés, ou manquer des signaux faibles cruciaux. Dans le contexte du sport-santé, ces limites peuvent avoir des conséquences graves. L’IA est donc un outil d’assistance, non un substitut à la compétence professionnelle.

Ce que l’intelligence artificielle ne peut pas remplacer
Ce qui fait la richesse d’un accompagnement en sport-santé, c’est l’intelligence humaine dans sa complexité : l’écoute, l’intuition, la capacité d’adaptation, l’empathie. Aucune machine ne peut, à ce jour, établir une alliance de travail, décoder une émotion, détecter une douleur dissimulée, ou motiver une personne en situation de découragement.
Le coach ou éducateur professionnel est un acteur relationnel. Il intervient dans un espace intersubjectif, où chaque séance est une interaction singulière. Il adapte son discours, sa posture, ses consignes, en fonction de la personne, de son état du jour, de son histoire de vie. Ces ajustements fins, souvent non verbalisés, constituent la substance même de l’accompagnement.
Les sciences de l’éducation et de la motivation (Deci & Ryan, 2002 ; Pelletier et al., 2018) ont démontré que l’alliance relationnelle, la reconnaissance de la compétence perçue, et le soutien à l’autonomie sont des leviers majeurs de l’adhésion à l’activité physique. Ce sont précisément ces dimensions que l’IA, par définition, ne peut pas incarner.

Vers une compétence augmentée : posture et responsabilité
Plutôt que de résister aux innovations technologiques, le professionnel du sport-santé gagnera à les intégrer dans une logique de compétence augmentée. Cela implique un positionnement clair : rester maître de son cadre d’intervention, tout en utilisant les outils numériques comme levier de structuration, de pédagogie ou de communication.
Cette posture exige des compétences nouvelles : maîtrise des outils, évaluation de leur fiabilité, capacité à expliquer leur usage au pratiquant, respect du RGPD et de la confidentialité, mais aussi capacité à poser des limites. Il ne s’agit pas de déléguer l’analyse ou la responsabilité à une machine, mais de l’utiliser au service de la relation humaine.
C’est aussi une question d’éthique. Le professionnel se doit de garantir la sécurité, l’intégrité et la dignité des personnes qu’il accompagne. Cela implique un discernement constant dans l’usage des technologies. L’outil est un moyen, jamais une fin.

Le coach comme médiateur humain à l’ère technologique
L’intelligence artificielle bouleverse les pratiques, mais elle ne remplace pas l’humain. Elle automatise ce qui est répétitif, structure ce qui est modélisable, mais elle ne ressent ni ne comprend. Elle peut accompagner, mais jamais guider. Le véritable enjeu est donc de former des professionnels capables de coexister avec l’IA, tout en affirmant leur valeur humaine.
Le coach de demain ne sera ni un technicien déconnecté, ni un simple utilisateur d’applications. Il sera un médiateur : entre la personne et son corps, entre la santé et la performance, entre les outils et les usages. Il incarnera une intelligence relationnelle, éthique et contextualisée, qui restera, quoi qu’il arrive, irremplaçable.
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